Vapèr I

Vapèr 01-

Sous le silence
murmure au creux des pierres mousses

Presqu’une main ouverte
paume blanche
lignes profondes

Peut-être une racine

La terre s’est retirée
et sa force noueuse
courbes douces et cruelles à la fois
voit la brume
sous les étoiles

Les arbres n’ont pas de ruine

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La première porte

Plein en toi, plein hors de toi et rien d’autre.

C’est ce que tu croyais alors, baignant dans une mer chaude et nourricière, perdu dans l’être de ton être et de ce qui le contenait, ignorant tout de tes contours dans un monde où tu étais à la fois la créature et son dieu.

le criJusqu’à cet instant où ce plein s’est ouvert, le plein hors de toi, qui te jetait hors de lui.

Instant panique où tout s’ouvrait en toi et hors de toi. A commencer par ce qui jeta ton premier geste sur ce monde, l’expression de ta frayeur.
Peu à peu des formes apparaissaient, te soutenaient, te meurtrissait parfois, te caressaient aussi. Progressivement, tout comme tu appris à te servir de ta bouche et de ta main, ces formes mouvantes, tu appris à les diriger, à les commander. Pour cela tu découvris la puissance et les modulations de l’air qu’on transforme en cri.

 

 

ET -2-

poème ... et repartir--

Et poser son corps tout contre la terre
le nez dans l’herbe
dans les odeurs de thym, de menthe
de passages
avec parfois la peur
suivies de crocs domestiques puis de métal.
Et faire halte
de tout ce qui marchait
se rappeler
éviter le trop loin de l’âme
toujours un peu en retard.
Et lui poser comme un poème
sur un bout de papier
quelques paroles articulées
pleines de voix et de silences par-dessus.
Pour qu’elle vienne,
continue à suivre nos pas.
Et repartir.

Passage

Un peu d’eau est tombée sur le jardin.
Les roses ont vaillamment résisté. A peine quelques pétales défraîchis aux couleurs déjà fort pâles, parsèment l’allée centrale et ses abords.
Quelques cerises translucides piègent encore cette lumière en boule qui émane du ventre des nuages.

Tout comme le vieux rosier jaune, le cœur à nu, fixé par quelques solides liens au mur de la cabane à outils et donc la moitié au moins des bras sont desséchés, Jean se sent las.
Pourtant il n’a jamais autant senti la vie dans son corps.
Aujourd’hui la fatigue douleur a gagné l’épaule droite et une partie du bras.
Aiguë, lourde comme une main qui agirait sur les chairs sans faire un mouvement, en irradiant par simple contact les muscles devenus incapables de se relâcher totalement, même si, en apparence …

Jean se sent las.
Et cette lassitude se répand hors de lui, et semble transfigurer le jardin qu’il voit baigné d’une clarté que piège chaque goutte en suspens.

Bientôt, le corps de Jean sera tout le jardin.

André Dhôtel …l’archaïque*.

Surgi au beau milieu de toutes ces mécaniques post-modernes en devenir ou en faire-part de naissance, de toutes ces voix dont le destin voulu est de toujours découper (décaper ?), préciser davantage, puis éventuellement recoller le réel, cet adepte du décourci donne encore une chance (la dernière ?**) à la pensée qui refuse de se croire soit absente soit détachée de la peau, de la chair ou du rythme – harmonie et syncope –  des flux liquides qui irriguent le corps.

Archaïque, son œil ne discerne pas les prétendus contours qui définissent les couleurs, les routes, le bien ou le mal, et s’il connaît plus de variétés de champignons que le pharmacien « Monsieur Jacques », c’est davantage pour teinter les pas du promeneur au delà de la précision de son regard que pour cartographier le vivant végétal.

Celui qui écoute la voix douce et lente d’André Dhôtel, celui qui ose couler son esprit dans le relief des graves, fluides et suaves, celui qui ne s’arrête pas aux apparentes contradictions des mots, ou aux étonnantes précisions responsables parfois de subtiles dissonances dans l’accord dominant du récit, celui-là retrouve le chemin, la lisière, du paradis terrestre.

Non pas ce lieu fade et plat, usé par des milliers d’années de lectures bibliques, mais ce monde sans bord, tant pour l’œil que pour la pensée, à l’extrême opposé d’un réel en numérisation continue – c’est-à-dire en disparition – monde où la forme seule subsiste, devenue quantité.

André Dhôtel est l’artisan et le protecteur d’une arche-clairière, dernier lieu émergeant d’un déluge à venir, sur une ville planétaire qui se nourrit des pleurs et des peines de ses faubourgs, une arche-clairière où l’on peut encore respirer des lèvres et du regard des « rues dans l’aurore ».

* Archange Laïque ?

** bien sur que non … puisque tu es encore là à lire ce texte.

Une petite flambée – II (fin)

(Une petite flambée – I)


A présent, même les bûches – d’énormes quartiers de chêne – posée sur les deux bancs de pierres, s’étaient embrasées et avec elle, toute la réserve de bois que René y avait disposé. Les yeux pleins de ce rouge destructeur il contemplait, fasciné, les tourbillons de flamme qui blanchissait les dernières traces de suie sur le manteau de la cheminée.
Mais bientôt, René sentit que le grand corps mouvant était sur le point de se contracter. Il n’avait plus de bois coupé à lui donner, et la nuit aurait été bien trop froide désormais au contact de son corps brûlant, pour qu’il aille chercher de nouvelles provisions de carburant.

Sans réfléchir, il se leva, et jeta devant lui le fauteuil en bois de teck sur lequel il était assis jusqu’alors. Immédiatement, à l’endroit où il avait lancé son siège, le feu regagna de la vigueur et Renée percevant cette réaction comme un appel, commença à donner à la flamme, tous les objets en bois qui se trouvaient dans la pièce. A chaque fois, la bouche de lumière qu’il nourrissait, s’agitait d’un mouvement vif. Il lui semblait même alors qu’elle le saluait par une révérence, qu’elle le remerciait.

La dernière latte du plancher avait disparue, mais désormais Renée n’avait plus à s’inquiéter, la flamme ne mourrait pas de faim. Elle était en effet parvenue à sortir de sa prison, sa langue avait léché les planches et les poutres du plafond et désormais, elle y avait planté ses crocs. Dans les yeux de René une folle joie s’était allumée. Oui, il en était à présent persuadé, c’était pour cet instant, pour cette mission que sa vie prenait à présent un sens. Le feu ! l’être primordial de ce monde, lui René, devait le nourrir, donner de l’ampleur à ce grand corps beau et lumineux qui à lui seul justifiait l’existence de toute la création.

Le front brûlant, couvert de sueur, René se réveilla.
6 Heures son réveil s’était mis en route. Sur France Culture, une rediffusion proposait la présentation d’un livre.
« D’où vient que ses activités puissent être poursuivies avec la même arrogance, que son pouvoir si caduc aille s’affermissant, et que se déploie toujours davantage son caractère hégémonique ? D’où vient, surtout que nous ayons l’impression croissante de vivre piégés au sein d’une entreprise fatale, ‘’Mondialisée’’, ‘’globalisée’’, si puissante qu’il serait vain de la mettre en question, futile de l’analyser, absurde de s’y opposer et délirant de seulement songer à se dégager d’une telle omnipotence réputée se confondre avec l’histoire ?
D’où vient que nous ne réagissions pas au lieu de céder, même d’acquiescer en permanence, tétanisés, comme piégés, dans un étau, environnés de forces coercitives, diffuses, qui satureraient tous les territoires, ancrées, indéracinables et d’ordre naturel ? »*
René Posa la main sur son réveil, en vain. Il appuya successivement sur tous les boutons qui se trouvaient sur le dessus de l’appareil. Rien ne se passait
« Il serait temps de nous éveiller, de constater que nous ne vivons pas sous l’empire d’une fatalité »
Il se mit à taper dessus avec son poing.
« … on pourrait dire maniaque : l’obsession d’ouvrir la voie au jeu sans obstacle du profit, et d’un profit toujours plus abstrait, plus virtuel.
Obsession de voir la planète devenir un terrain exclusivement livré à une pulsion après tout humaine, mais que l’on n’imaginait tout de même pas devenue, l’élément unique, souverain, le but final de l’aventure planétaire : ce goût d’accumuler, cette névrose du lucre, cet appât du profit, du gain à l’état pur, prêt à tous les ravages, accaparant l’ensemble du territoire … »
René se leva de son lit, et, redevenu parfaitement calme, tira violemment sur le câble d’alimentation du radio-réveil.
La voix cessa enfin.
_________________________
Une étrange dictature
De Viviane Forrester (Auteur)
Publié par les éditions Fayard

Une petite flambée – I

Il ne faisait pas particulièrement froid, mais René aimait bien le petit déplacement d’air chaud et cette lumière orangée que lui procurait le feu de la cheminée. Un peu aussi l’odeur du bois et de ses fumées.

Appuyée sur l’un des murs de la pièce, celle qui lui faisait face en occupait pour ainsi dire la totalité. C’était une de ces immenses cheminées telle qu’on peut en voir dans les anciennes demeures campagnardes, autrefois propriété de quelque petit noble de province.

Deux bancs en pierre sur chaque côté, à l’intérieur même de l’âtre, permettaient à plusieurs personnes de se tenir, au chaud, tout près du foyer. Bien sur, il était rare qu’on donne au feu lui-même beaucoup d’ampleur. Uniquement au moment de l’allumer, lorsque, avec du petit fagot, et des branches bien sèches, on y faisait une grande flambée, de façon à obtenir suffisamment de braises pour que des bûches de tailles moyennes, une fois posées bien au centre, s’y embrasent spontanément.

Pour lors, René face à la flamme, regardait deux bûches croisées l’une sur l’autre se consumer tout en donnant dans leur partie la plus chaude, une petite zone de flammes hésitantes qui disparaissaient de temps à autre au gré des caprices de tout ce petit monde si complexe qui favorise, étire, bouscule ou étend, le feu.

 Bientôt, il eut envie de plus de chaleur, de plus de lumière. Il voulut que cette zone où les couleurs dansaient s’étende, se développe. Que les petites langues qui léchaient le bois se redressent, et se rassemblent en une flamme plus consistante. Que celle-ci  bondisse joyeusement, qu’elle chante en éclats.

René se disait, à juste titre, qu’il était bon, de temps à autre pour éliminer les traces de suie, bistres et calamine, tant dans le foyer que dans le conduit, de faire donner à la flamme sa pleine puissance, quitte à provoquer un petit feu de cheminée. N’était-ce pas ainsi que les anciens pratiquaient, pour faire disparaître tout qui ce dans ces lieux d’amoncellement des fumées, résistait au ramonage le plus énergique.

 Ainsi, peu à peu, René se mit à charger de plus en plus sa cheminée.

Il aimait l’entendre chanter. Parfois en émettant des sons proches du ronflement d’un dormeur repus, et de temps à autre sous la forme de petits sifflement, si discret qu’une fois éteint on croyait les avoir rêvés.

Le feu occupait maintenant la moitié du foyer. René avait été faire une énorme provision de bois au dehors, sous l’appentis, de façon à ne plus avoir à se déplacer de toute la soirée. Il faisait une chaleur de fournil, mais plus la température du foyer augmentait, et plus René sentait le froid caresser, pétrir la partie du dos qu’il n’avait pas réussi à blottir contre le dossier de son fauteuil. Aussi, même s’il transpirait abondamment, son corps exigeait plus de chaleur.

Grisé par cet avant-goût de l’enfer, cet excès dont il était conscient, mais qui exigeait de lui un excès supplémentaire, René était au cœur des flammes.

… (À suivre)

La chute

Tu voulais un abîme ?
Le voici.

devant l'abîme

Comment ? Tu t’indignes !
Quelles en sont tes raisons
N’est-il pas à ta dimension ?

Une chute, cela se mérite
pour tomber de haut
encore faut-il s’être élevé un peu du sol.
Et toi, tu n’as fait qu’y ramper.

Cette flaque même
est à ton image
tout s’y mêle
un peu de la clarté du ciel
si peu
avec ce qui achève d’y périr
et se décompose
comme tu n’as cessé de le faire toi-même
ta vie durant
ta vie, couleur vert jaune de la mousse

Tu voulais un abîme pour t’y jeter
celui-ci t’est dédié
hôte des marais.

devant l'abîme