Le voile se retire

L’orage est si près
toute cette pluie en devenir
excèdera ta soif

aveugle
tu le seras
bien avant d’être sourd
et n’en sauras rien

déjà frémissent de joie
de cette pluie en devenir
tous tes suppliciés

vert devenu gris
tombe des forêts en cendre
vies silencieuses

Il jaillit
il est là
l’éclair
blanc, figé dans le ciel
Tu ne verras pas la fin
ni entendra
les chants mêlés
d’un monde en joie.

Les femmes des années 80 – Lettres sauv’iétiques n°363 – 1989

… lu
en aveugle
les mots
sur les lèvres immortelles
de Bella Akmadoulina
ces mots qui coulaient
de la part vivante de ses chairs
celle où son corps
n’avait pas encore achevé de mourir

« Celle où son cœur
se mourrait puissamment
« 

… gardé
dans un compartiment secret
de ma mémoire
en fleur, en parfum
en graines
de ses mots la tendresse
aussi inconsciente d’elle même
que l’eau d’une fontaine.
Ne sachant qu’en faire
dans cette rue obscure de notre exil.
_____

l’échappée

Il a rejoint l’oiseau
et ses trois notes vives
qui renvoient l’espace tout entier au silence

Comme lui
son corps est doux dans l’instant de son vol
Comme lui
il défie sans orgueil la gorge de l’hiver

Il a rejoint l’oiseau
qui n’ira pas migrer pour être sauf
l’oiseau
qui donne son corps à la lumière
son duvet à vos rêves.

Chut !

Le petit avait dans la tête
un petit trou
minuscule
d’où la vie s’écoulait.

Le petit avait dans sa tête
un autre petit trou
majuscule
par où la vie entrait.

Prudent
il n’en disait rien
et respirait imperceptiblement
dans son coin
n’évoquant
– sans émettre aucun son –
qu’avec les chats, les oiseaux et les chiens
ce que lui rapportaient ses hôtes de passage.

Animal la mAin

Le sabre,
à couper des têtes,
à ouvrir le ventre des belles,
à faucher la descendance de l’ennemi
en fleur.
Le sabre,
à la lame claire
obéissante – crois tu –
aussi fulgurante que la pensée,
à la franchise lumineuse,
simple comme le fil de la jeune lune
Le sabre,
au cœur de toutes les aventures,
qu’il faut sans trêve plonger dans le vivant,
l’éloigner de la rouille.
Le sabre,
qui n’existe que dans son mouvement
lorsqu’il menace
lorsqu’il fouille.
Le sabre,
dont tu n’es qu’une des montures
– le servant, le bois, la figure –
te tient plus fort que tu le crois,
ferme ta pensée, et tu ne vois
rien d’autre sur le monde
que formes en batailles
et courbes dans le ciel à tracer
Jusqu’en cette clairière
où tu ignores être né.

Nat

Passage du sanglier
Chemin défoncé terrasses éboulées
La force brutale
ses traces
dans les prairies déchirées
sur les jeunes chênes brisés
les champs de marguerites en partie enterrées
Passage du sanglier
Et tu sais que Terre s’en remettra

Passage de l’homme

Ce temps

Parfois la voix descend du ciel
éclate autour de moi
et dit
ce qu’elle exige des petits hommes
pour éclairer le monde de ses couleurs aigues.
Traquant l’ombre de l’incertain
et des pensées nomades.
Alors, je sais
des yeux, de la bouche et du corps
comme l’espace
que ma peau croit tenir
est vide et sans pouvoir !
comme mes lèvres sont impuissantes
à y jeter la moindre trace
comme mes pas sont enfermés
en des cages parfaites
que nul n’a besoin de maintenir closes.
En ce lieu d’harmonie parfaite
m’a quitté toute pensée
de m’en échapper.

Orvieto

Ces murs au temps vide
L’espérance de quelques portes
Et toi qui attend

Des milliers de traces
Chemins qui guident les pas
Ces lieux que l’oeil voit

Un banc hors ce monde
Attend le voyageur perdu
Pour SE reposer