Au-delà du POUR ou CONTRE la « réforme du collège »

Incontestablement, l’efficacité du système éducatif français, notamment dans sa composante « Collège (d’enseignement général) » est en cause.
enseignement industriel

Si l’on considère les attendus principaux – que l’on peut toutefois discuter – visés par cet outil de l’Education Nationale, il est clair que le dispositif mis en place « rend de moins en moins bien le service » attendu.

En termes de « Qualité » dans le sens restrictif que lui donne l’AFNOR1, il y a manifestement ici un déficit important et celui-ci se creuse d’années en années.

Pour repérer la nature de cette « non-qualité », regardons une des propositions innovantes proposées par la « réforme du collège ».

Dans la droite ligne des tâches qui nécessitent une interdisciplinarité, (dans la ligne des défuntes IDD2) la réforme propose la mise en place d’Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI).

A quoi répond donc ce nouveau « produit » ? Les mots « pratique » et « interdisciplinaire » vont nous aider à le comprendre.

Si l’on admet que pratique est en grande partie le contraire d’abstrait et interdisciplinaire celui de purement disciplinaire, il s’agirait donc de « rajouter » par-dessus le produit une couche particulière (car de nature radicalement différente du contenu du produit lui-même) qui viserait à combler une déficience du produit, la non satisfaction d’un besoin du (ou des) client(s)3.

Osons un parallèle avec un autre système de production industriel4 : celui du type d’agriculture qui couvre la plus grande partie du territoire français. Nous y verrons mieux les carences, et la manière dont le système lui-même tente de les combler, voire de les dissimuler ou-même de réorienter les besoins du « client » en faisant de ces carences mêmes un attrait.

agriculture industrielle

Chacun de nous a déjà goûté (certains ne connaissent plus que cela) la tomate sans gout ou le poulet sans saveur, dont la chair se détache d’elle-même à la cuisson et d’autres aliments produits par le « système industriel du manger »5.

Cette non-qualité une fois mise en évidence (en premier lieu par la frange des clients les plus exigeants), quelle est la réponse de ce système de production ?

Elle est de deux natures :

  • La diversion  qui consiste notamment à se concentrer sur les fonctions du produit accessibles à l’amélioration par l’industriel, comme par exemple l’aspect, les garanties de sécurités (à ne pas confondre avec la sécurité elle-même), le confort de la distribution etc.
  • L’ajout d’une surcouche qui va masquer (tout comme le maquillage peut le faire pour les rides) la déficience du produit, notamment en matière de goût (la surcouche sert aussi pour l’aspect : injection diverse, en particulier de colorants, de conservateurs …)

Les cultures traditionnelles se sont toujours méfiées de la sauce par exemple, qui est un des moyens d’occulter un mauvais goût (ou l’absence de saveur) – en particulier à la ville où les denrées « peuvent » être plus souvent avariées que sur les sites de production –

Dans les EPI, proposées comme un des remèdes pour le Collège, on retrouve cet aspect « sauce ».
Il s’agit de combler un déficit de « pratique » autant que les excès d’une spécialisation à outrance des disciplines, par une couche, sans réelle rapport avec le reste du produit, censée redonner de la saveur et du liant à celui-ci. (on écartera ici toute éventuelle intention de maquillage ou de poudre aux yeux en supposant exclusivement une réelle volonté d’amélioration du système).

D’autres éclairages de la réforme nous montreraient que le facteur principal en cause dans cette dégradation des résultats (du point de vue du résultat final sur un élève) est précisément cette industrialisation (massification) de l’enseignement. En effet l’amélioration même de la pédagogie et des technologies dont elle dispose pour faire entrer les savoirs (=pour  persuader6), en maîtrisant mieux les objectifs outils (en les visant pour eux-même c’est à dire en les considérant comme des fins en soi), expulsent tout le non-maîtrisable qui était essentiel à l’atteinte des objectifs réels de l’éducation/enseignement à savoir donner les bases d’un développement futur de la personne et de ses connaissances (<> savoirs).

production industrielle

Si l’on convient qu’une réforme du système est indispensable, notamment parce que ceux qui en étaient les agents (enseignants spécialistes d’une discipline, inspecteurs en charge d’une discipline, éditeurs de manuels disciplinaires) l’ont détourné en l’adaptant à leurs objectifs à court terme (contenus disciplinaires), il s’agit maintenant de se demander si la réponse proposée par la réforme est adaptée aux déficits à combler.

Prolongeons l’analogie avec « l’industrie du manger ».

La réponse d’une surcouche, ou de l’ajout d’outils (nouvelles technologies ou méthodes pédagogiques) au service des disciplines, est-elle la bonne ?

(On peut faire une pause de quelques seconde sur la question « En forçant l’élève résistant à l’apprentissage7 LUI rend-on réellement service ? » …)

Examinons les réponses alternatives faites dans le domaine du « manger » et tentons de découvrir leur analogue dans « l’éduquer 8»

Une partie non négligeable des « consommateurs » et de la « production » s’est orientée vers ce qu’il est habituel de nommer « le bio » (« le vivant »)

Ne peut-on imaginer une Education Nationale (ou régionale, ou …) « bio » ?

Diminution de la taille des lieux de production, des quantités produites (moins consommer pour consommer mieux), cohérence (densité) du produit auquel il ne serait plus nécessaire d’ajouter des « compléments alimentaires » (souvent mal incorporés par l’organisme) parce que tout serait à l’intérieur, acceptant qu’extérieurement l’aspect ne soit pas toujours « brillant ».
Plus grande confiance faite à la nature (ici, de tous les acteurs, notamment l’élève), dont on chercherait moins à réguler (voir à éradiquer) les « accidents de parcours » (avec des moyens analogues aux insecticides, herbicides, engrais, ralentisseurs, accélérateurs etc.9.) moins de contrôles destructifs10

Cela suppose également bien-sûr, une diminution de la spécialisation, l’enseignant devra être capable d’ancrer la notion abordée dans le temps, le vécu de l’élève, en faisant des ponts (certains nomment cela digression, il s’agit de ce que l’on désigne dans certaines méthode de remédiation sous le nom de transfert, transposition ou généralisation). Pour cela il devra augmenter sa culture générale pour alimenter l’élève en tout ce qui lui permet de faire des liens (dans le temps du cours, de l’année, ou plus tard dans son cursus)
Il est tout à fait étrange qu’un professeur qui enseigne en collège n’ait pas une idée à peu près claire de tout ce que l’on demande à un de ses élèves dans toutes les matières, que l’on exige de ceux-ci des compétences qu’il n’aurait pas ou plus.

Alors, pour ou contre la réforme du collège ?

Il est clair que derrière les annonces du projet on peut deviner des sensibilités en rapport avec ce qui est évoqué ici. À savoir une école qui tiendrait davantage compte de l’individu  au niveau de ses différents besoins : temps, espace, repos, rythme, dépense physique et mentale, (dans un monde, où pour ce qui est de l’élevage on commence à se poser la question du nombre pertinent de m² nécessaire pour une certaine quantité de « bêtes » d’un genre donné.) et reviendrait sur l’appropriation totale du « système de production » par les contenus disciplinaires (parce que c’est ce qui est le plus facile à enseigner et à contrôler. Le reste étant une affaire de savoir-être qui pose bien plus de problème) ainsi que sur l’enseignement par le canal exclusif de l’abstraction y compris dans les matières non scientifiques.

Mais ces annonces préalables n’ont pas été suivies. En effet la suite de ce projet de réforme a donné lieu à une lente, mais irrésistible récupération de celui-ci par ceux la même qui depuis toujours ne voient que par les disciplines distinctes (les inspecteurs des matières11, les enseignants de ces matières).
On pourra s’interroger à ce propos sur la « RÉACTION » CONTRE unissant des syndicats qui ont toujours été opposés (SNALC  et FO par exemple) et la crispation tétanisée, majoritaire  parmi les enseignants, sur les heures d’enseignement dévolues aux matières.

A l’heure actuelle, de ce projet, il ne reste plus grand-chose des intentions originales tendant vers un collège ouvert à l’enseignement incluant la pratique et, non pas une vague interdisciplinarité, mais la connaissance finale, celle où les savoirs disciplinaires se mêlent au point qu’on ne puisse plus les y distinguer (tout le poulet et son goût propreet non pas celui du petit sachet de poudre ou de la sauce qu’on lui rajoute dans le plat.)

Alors, un enseignement bio ?
A espérer pour quand ?
Malheureusement, il semblerait qu’il n’y ait pas de raccourci dans les processus de progrès et que l’école, tout comme l’agriculture et l’élevage, doivent aller jusqu’au niveau de l’intolérance et de l’évidence des dégâts, avant de s’orienter vers une production qui, à première vue semblerait elle aussi, plus désorganisée et moins efficace, mais qui, plus encore s’agissant ici du petit d’homme, est de loin préférable, tant du point du vue du trajet, que de celui de la destination finale, à notre système actuel d’enseignement industriel qui nourrit de moins en moins le collégien.

 

 


1 L’aptitude du produit à satisfaire le besoin explicite ou non du client
2 Itinéraires De Découverte

3 Les clients des systèmes sont nombreux : l’état (future contribution au PIB et à la défense nationale), les entreprises, les parents, (voire même les professeurs, lorsqu’ils cherchent à « produire » de bons élèves). Et comme les décrits Henri Roorda (« Le pédagogue n’aime pas les enfants ») l’enfant n’est absolument pas client du système (ou plutôt, il est le client largement – la plupart du temps – oublié)

4 Ce qu’est bien évidemment l’éducation nationale, dotée de ses établissements calibrés (tous semblables à d’infimes nuances près), de ses programmes, de ses ouvriers spécialisés certifiés à différents niveaux (enseignant), de ses réseaux de contrôleurs (inspecteurs), de ses systèmes de contrôle qualité (examens) etc.

5 Nommé ainsi pour faire simple, et qui comprend notamment : l’agriculture industrielle, le conditionnement industriel, la distribution industrielle.

6 On saisit à quel point la pédagogie n’est pas un outil pour révéler l’être à sa pensée et lui faire accéder à la compréhension d’une situation, lorsqu’on voit l’utilisation qui est faite (sans complexe) de ce mot par exemple par les hommes politiques. La pédagogie sert à persuader l’autre que celui qui en fait usage à raison, il s’agit de convaincre, de faire entrer un « savoir estampillé » en aucun cas d’aider à la compréhension, ici l’un donne l’autre doit recevoir. Si l’autre n’admet pas ce que l’on a dit c’est qu’ « on a pas suffisamment fait preuve de pédagogie ».

Joseph Jacotot évoquait le maître explicateur qui rentre dans l’esprit de l’élève et qui est bien plus dangereux (violent) que celui qui en châtie le corps.

Chacun contribuant à réduire le corps des apprentissages au squelette (ou la cartographie) du membre que traite sa spécialité.

7 Toujours pour de mauvaises raisons, pense le pédagogue, sans envisager la possibilité que cette résistance ait un sens, et qu’il ne faut peut-être pas forcer la porte …peut-être renvoyer l’apprentissage à plus tard (voir à jamais si ce n’est qu’un apprentissage outil, non nécessairement utile à la suite du parcours de l’élève.)

8 Qui inclue « l’apprendre »

9 On laissera ici le soin à chacun de trouver la correspondance dans l’enseignement

10 Le contrôle non destructif (CND) est un ensemble de méthodes qui permettent de caractériser l’état d’intégrité de structures ou de matériaux, sans les dégrader, soit au cours de la production, soit en cours d’utilisation, soit dans le cadre de maintenances.
Note : Le contrôle non destructif est souvent indirect.

11  Chargés d’assurer la mise en place de la réforme ( !)