
Dans les conversations intelligentes
y a rien à manger !
C’est des tomates d’Espagne, bien rondes, bien colorées, sans aucune tâche où le regard pourrait s’appuyer,
même pas bonnes à reluquer
si ton œil sait encore palper autre chose que la lumière.
C’est du carrelage !
au mieux, avec des cabochons,
pour casser un peu l’uniformité des lignes
c’est du carrelage
sur lequel aucune semelle n’est jamais passée
à peine si l’éloignement
– je veux dire : le temps du mot qui se déroule –
donne l’illusion de petites variations dans la teinte, le grain ou les angles.
Si Alan Lomax devait revenir par chez nous
pour, à nouveau, collecter du vivant
ce ne serait pas de la musique qu’il irait écouter dans les maisons des franges du monde
et recueillir pour les générations futures
c’est des mots, des paroles, des sons articulés.
Graines d’épeautre
qui fait le pain vrai et la soupe bonne à la gorge
et au corps.
Dans les conversations intelligentes
le diable s’ennuie à mort.

*****
âpre au pot
coïncidence pour qui y croit
(un livre qui m’est arrivé entre temps dans les mains)
Le génie de la bêtise
Par Denis Grozdanovitch
https://books.google.fr/books?id=Re-QDQAAQBAJ&lpg=PT4&dq=%22dans%20cette%20optique%20et%20avec%20l’aide%20de%20mon%22&hl=fr&pg=PT4&output=embed
Invitation faite au lecteur
Ce fut vers l’âge de douze ans, je crois, que je m’avisai, de façon plus ou moins diffuse,que non seulement la bêtise attribuée aux gens simples, aux idiots et aux animaux,recelait bien souvent une clarté spirituelle qui faisait défaut à l’intelligence révérée chez les « grands intellectuels », mais encore que l’une semblait ne s’opposer à l’autre que dans une sorte de dialogue scénique, une scène de ménage théâtrale, en somme, dont le face-à-face débouchait la plupart du temps sur le comique le plus truculent.Dans cette optique et avec l’aide de mon père qui, comme on le verra, aimait à s’en amuser, j’appris à écouter les moindres paroles d’une oreille plus synthétique qu’analytique, cherchant avant tout à m’imprégner de la teneur atmosphérique d’un discours, plutôt qu’à tenter d’en suivre l’argument logique, si souvent pernicieux – exercice qui devait me conduire, de manière excessive peut-être, à me méfier des énoncés rhétoriques trop brillants. Un peu plus tard enfin, j’appris d’un ami de lycée, ainsi que je le raconte encore, à me méfier de mes propres certitudes et de mes éventuelles opinions,puis à soupçonner à quel point la stupidité pouvait insidieusement se dissimuler dans la sincérité personnelle la plus vive, laquelle courait ensuite le risque de virer au dogmatisme le plus indéracinable.
Ce livre tente donc, au moyen d’anecdotes, de souvenirs, d’impressions et de notes de lectures, de relater cette petite aventure mentale qui fut la mienne au fil du temps. Il ne se veut qu’une flânerie dilettante, une série de variations autour d’un même thème – d’où son aspect fatalement disparate, digressif et éclectique.
J’espère simplement être parvenu à faire partager au lecteur le plaisir que j’ai eu à en rassembler les éléments puis à le rédiger et si, comme cela est inéluctable – ou plus exactement : comme c’est la règle du jeu en la matière –, on décèle chez moi les mêmes travers, les mêmes erreurs récurrentes que ceux que je me suis ingénié à répertorier chez les autres, j’aimerais qu’on sache qu’il ne peut s’agir là que d’une cordiale invitation à me rejoindre sur la scène où je me suis étourdiment avancé. Cela, afin qu’en échangeant quelques vigoureuses répliques et quelques invectives à n’en pas douter désopilantes, nous puissions perpétuer cet antagonisme turbulent et drolatique qui réunit les figures classiques du Grand Guignol dont, à plus d’un égard, la vie intellectuelle offre le spectacle permanent.