Ils se disaient …

Ils étaient partis tous les deux chercher un peu d’un bruit qui ne soit pas rempli de sens dans une ballade en montagne.

Aussi, dès le début de leur promenade, ils ne se disaient plus rien.

et souvent d’ailleurs
ils étaient assez loin l’un de l’autre.

Autour d’eux, les feuilles faisaient le mort pour que le vent cesse de jongler avec leurs petits corps fatigués.

Ils marchaient, leur pas réglé, sans qu’ils en aient conscience, l’un sur l’autre.

De temps à autre, le même éblouissement les saisissaient, mais ils se gardaient bien de chercher à capturer cette lumière qui les traversait, en la recouvrant de mots, sachant l’un et l’autre que c’était le meilleur moyen d’accélérer sa perte.

Il la rattrapait au passage d’un torrent, les yeux perdus dans l’eau fuyante ou les mains jouant avec l’eau glacée …

… ou parfois lorsque, dans la boucle d’un chemin, la vallée du Breda se laissait voir entre les branches déplumées des hêtres.

Lorsqu’elle repartait, il lui laissait quelques dizaines de mètres d’avance, puis reprenait sa marche.

De temps à autre, elle se trouvait si loin de lui qu’il la perdait presque.
Le plus souvent c’était à la traversée d’un hameau.
Lui avait tendance à y ralentir son pas, alors qu’elle, semblant fuir ces lieux qui auraient pu tenter son instinct de propriétaire, accélérait son allure.

C’est après avoir traversé un hameau, qu’il la rattrapa dans un pré en forte pente.

Là, ils décidèrent, sans même s’en parler, de modifier leur projet de ballade et de profiter du soleil qui venait de sortir des nuages, pour se reposer un peu.

…
– [Lui] Zzzzzzzz …
Elle approche son index de sa moustache … la frôle
Il s’ébroue … puis se réveille vraiment.
– [Lui en se redressant puis se tournant vivement vers Elle] Que … qu’est … c’est … .Tu exagères !
– Oh (indignée) pour si peu !
Heureusement que tu ne m’as pas frappée !
– J’ai cru que tu étais une mouche ! Sinon …
– {…} !?

 

 Ils sont redescendus. Elle a repris la tête, peut-être un peu plus loin de lui qu’à aller.

Passant cette fois par la route, pour bouger davantage leurs jambes en marchant à une cadence plus soutenue.

De temps à autre, l’un d’eux coupait à travers les près.

Il ou Elle rencontrait parfois des curieux qui s’arrêtaient net dans leur activité du moment pour reluquer l’inconnu(e) de passage.

D’autres fois, ils se trouvaient à devoir traverser, pour leur bien, des propriétés privées de passage par la volonté de leur propriétaire.

Pour La surprendre, en coupant un des lacets de la route et se retrouver devant Elle, il entra dans la forêt de sapin et piqua vers la vallée.
Il ne le fit qu’une seule fois, après quelques chutes dues à de traîtres racines, après s’être écorché aux branches basses – mortes mais au combien vives – et que son bonnet ait été dérobé à maintes reprises par des arbres mal intentionnés.

Elle et Lui finirent par se retrouver en face de l’usine, près de laquelle était garé leur véhicule. Sans avoir échangé une parole depuis la fin de leur sieste.

Ils avaient commencé à se débarrasser de leurs vêtements et chaussures de marcheurs lorsqu’une parole déchira l’air autour d’eux.
Car c’était bien une parole, un appel, que ce braiment, ce cri entre avertissement et supplique qui leur était adressé.

L’âne qui les avait crânement snobés lorsqu’ils avaient voulu lier connaissance avec lui, cette âne digne et immobile qui les avait regardés passer comme un prince juché sur son trône l’aurait fait d’un  de ses domestiques, ce même âne réclamait, implorait peut-être même, leur présence.

Après avoir fait une grande provision de trèfles en fleurs fraîches, tous deux se dirigèrent vers les appartements de celui qui les avait priés de retarder leur départ.

Et c’est en régalant à tour de rôle le bel âne blanc qu’Elle et Lui se dirent tout le plaisir qu’ils avaient eu à ne pas aller jusqu’au refuge du Crêt du Poulet …
sans qu’une seule parole ne sorte de leur bouche.