Oui ou Non /Le mythe de la machine – Lewis Mumford 1967 / Angèle 2019

Consommez !

Avant tout, chaque membre de la communauté doit, par devoir, acquérir, utiliser, dévorer, gaspiller, et finalement détruire une quantité de marchandises suffisante pour maintenir en marche le mécanisme de production croissante.


– Allo Lélio ? Ça marche ?
– Qu’est-ce que tu dis ?
– EST-CE QUE TU MARCHES ?
– Parle plus fort, je suis à l’Aktivarium et ma Strength Training Machine est très bruyante.

– Est-ce que ça marche ?

– Moi marcher ? … Toutes les Walking machines sont prises !  Je vais faire un peu de rowing machine en attendant qu’une se libère.

 


« Qu’adviendrait-il de la production de série et de son système d’expansion financière si la durabilité, l’efficience sociale et la satisfaction humaine étaient les buts directeurs ?

La condition même de l’actuelle réussite financière, la constante expansion de la production et du remplacement, travaille contre ces fins.

Pour assurer la rapide absorption de son immense  productivité, la mégatechnologie a recours à toute une série de moyens différents : crédit au consommateur, achat à tempérament, conditionnement multiple, modèles non fonctionnels, nouveautés factices, matériaux de pacotille, main-d’œuvre déficiente, fragilité inhérente ou désuétude forcée par suite de changements de mode fréquents et arbitraires.

Sans la constance de l’incitation et de la séduction par la publicité, la production se ralentirait et se nivellerait suivant les besoins du remplacement normal. Autrement, nombre de produits pourraient atteindre un palier d’efficacité dans la conception qui n’appellerait qu’un minimum de changement d’une année à l’autre.

Sous le règne de la mégatechnologie, le motif pécuniaire domine toutes les classes, de manière inconnue dans les sociétés agricoles.

Le but de l’industrie n’est pas en premier lieu de satisfaire des besoins  humains essentiels avec un minimum d’effort productif, mais de multiplier le nombre des besoins, factices ou fictifs et de les adapter au maximum de capacité mécanique à produire des profits.
Tels sont les principes sacrés du complexe de puissance.

Avant tout, chaque membre de la communauté doit, par devoir, acquérir, utiliser, dévorer, gaspiller, et finalement détruire une quantité de marchandises suffisante pour maintenir en marche le mécanisme de production croissante.

Non moins stricte est la seconde nécessité. La majorité de la population doit éviter tous modes d’activité autres que ceux qui nécessitent l’implacable utilisation de la  «machine» ou de ses  produits.

Sous la première rubrique se place l’abandon du travail manuel* et de l’adresse artisanale, fût-ce à la plus simple échelle domestique et personnelle. S’adonner à n’importe quelle forme d’exercice corporel, manier la hache ou la scie, bécher ou désherber un jardin à la main, marcher, ramer, quand on pourrait avoir une automobile ou un bateau à moteur, et même ouvrir une simple boite de conserve … sans bénéficier d’un agent mécanique – motorisé de préférence – revient tout bonnement à ne pas jouer le jeu.

Dans la mesure où un minimum d’activité corporelle est nécessaire à la santé, elle doit être obtenue grâce à l’achat de machines à s’exercer comme les bicyclettes stationnaires et les masseuses électriques.**

Ainsi l’ancien mépris aristocratique envers le travail manuel de tout genre a-t-il été maintenant démocratisé. »

« Le mythe de la machine » tome 2 – Lewis Mumford 1967


* À l’école : Ex « Education manuelle » devenue « EMT : éducation manuelle et technique »,  … remplacé par « Technologie »

 

** On a fait beaucoup mieux depuis sous le doux vocable d’aktivarium

aktivarium